Nouveau lieu, nouvelles histoires.
Je passe quelques jours en Sologne, dans la famille de T, sauf qu'il n'y a pas la famille, juste les murs d'une maison de chasseurs qui regorge de têtes de biche empaillées, de fusils, de bottes Aigle, de bûches, de bonbonnes, de jeux de société, de caisses de vin, de vieux post-its où butternut devient beuternote... Dehors, les oiseaux, les chiens, les moustiques, les lapins, des chevreuils, des canards et des sangliers. A ma connaissance, la liste s'arrête là, mais évidemment qu'elle continue. Il suffit de se retirer du monde pour en retrouver un autre, de monde, infiniment peuplé de vivant. Il y a beaucoup de forêt, des étangs et des noms de terrains étranges (Derrière Billot, La Terre de Feu...), des granges aussi, de vieux tracteurs, des pièges à bêtes, des abris.
Depuis hier, il y a l'orage, mais très peu de pluie. Les éclairs ont traversé la chambre presque toute la nuit, les grondements sont restés à distance, comme déviés par un sorcier. Le matin, nous prenons la grande allée en voiture pour aller trouver Saint Internet, patron des Digital Nomads, chez l'oncle arrivé la veille pour une histoire de forage. C'est contre intuitif, j'ai l'impression de m'enfoncer dans la zone blanche, entre deux pans de forêt épaisse, et de m'éloigner de plus en plus de la civilisation.
Sur l'allée, une petite voiture type panda sortie de nulle part, portière gauche ouverte, dans la lumière sombre du matin. Plus on s'approche, plus la portière se ferme, lentement, alors qu'il n'y a visiblement personne à l'intérieur. Fantomatique ! Si, sur le siège de droite se tient le gros et très vieux labrador blanc de Marie-France, la gardienne du domaine, probablement partie vérifier le niveau de l'étang. Son pluviomètre est cassé, alors il faut aller voir en personne. On double par la droite, en route pour notre espace de coworking solognot. Étrange navette...
Chez l'oncle, grâce à un boitier, la maigre 4G est amplifiée et suffit à me connecter. Dans "notre" maison, rien à faire, deux barres de 3G, voire Edge tout court, dans la chambre de Berthe (?) si la fenêtre est ouverte, une minute sur deux. Hier soir un soupçon de 4G sur le pallier de la cuisine, évaporé depuis. Le vent souffle dans les chênes et sur les tuiles couvertes de mousse. Nous avions aussi tenté le boitier de Marie-France qui loge en face entre les plantations de fraises et de tomates, mais impossible de déchiffrer le mot de passe (le nom d'un chien, le sien, orthographié avec beaucoup de fantaisie).
La maison, l'autre, est tellement grande et tellement bien isolée que l'on a l'impression d'être dans un vaisseau spatial. L'oncle télétravaille depuis une chambre où il donne de la voix, il tonne au téléphone (branché sur le dit boîtier), il donne des coups dans les lattes, il se lève et se rassoie et se relève. Depuis sa cellule de contrôle, il commande son cabinet de conseil, des équipes parisiennes toute ouïe. Je le vois en dessin de Christophe Blain.
Je parlais d'une histoire de forage qui explique la présence de l'oncle et de sa femme un lundi à Molandon - ce beau nom qui monte et qui descend. Ici, chacun creuse et gère son approvisionnement en eau. Il n'y en avait pas assez, trop de coupures, et donc ils ont fait venir une entreprise spécialisée "sourcier et foreur de père en fils". L'oncle nous raconte comment le sourcier (le père) est venu sonder le terrain pour le foreur (son fils) à l'aide d'un authentique pendule à la professeur Tournesol. Il leur a indiqué la profondeur et le débit, l'endroit a été marqué de quelques tuiles et piquets. Aujourd'hui, les revoilà avec les machines géantes, posées sur la pelouse devant la maison comme des insectes d'acier démesurés. Sur plusieurs remorques, des mètres de tuyaux bleu ciel comme des pailles géantes qui serviront à aspirer l'eau des profondeurs argileuses.
Pour intervenir, ils ont dû raser plusieurs mètres carrés de plantes sauvages appelées "arbre à beurre". Les grandes feuilles très vertes servaient autrefois à envelopper les mottes de beurre ! D'où les plantations à proximité des maisons. Le nom latin n'est pas connu.
Alors qu'ils s'apprêtent à creuser, la pluie se remet à tomber de plus belle, en rideau continu. L'eau vient du ciel, arroser le sourcier, le foreur et les ouvriers. Au sec derrières les grandes baies vitrées, je les observe.
"Recherches d'eau" |
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