Les déménagements font rêver. Depuis que je suis arrivée ici, je rêve pour deux. Ce matin, je me suis réveillée avec une vision très nette de quatre manteaux sombres : un noir, un bleu marine, un marron et un vert bouteille. Toute une collection automne-hiver. Des manteaux élégants, en laine, qui habillent des gens distingués quand ils vont par exemple à l’Opéra. Ces manteaux étaient portés, mais ils avaient plus de poids que les personnes, le rapport était inversé. Mouillés par la pluie, détrempés en fait, ils étaient sur les épaules ou par-dessus le bras d’hommes, de femmes. Ils n’avaient pas eu le temps de sécher au vestiaire. Dans mon rêve, les hommes et les femmes, quatre en tout, sont encore dans le brouillard de l’Opéra auquel ils viennent d’assister, les yeux lourds, les traits chiffonnés par l’obscurité. Ils ne se rendent pas compte tout de suite qu’il y a eu permutation, que leurs manteaux ne sont pas les bons. Une main palpe les poches à la recherche d’un mouchoir et tombe sur un billet d’Opéra humide de pluie ou de pleurs, s’étonne de le trouver aussi imbibé alors qu’il était à l’abri du manteau. Une autre main examine la bordure, il doit y avoir un trou dans la poche, il en ressort un stylo qui s’était niché dans l’ourlet. Dessus, un nom d’hôtel autrichien qui ne lui dit rien. L’une des femmes incline sa nuque pour sentir le large col et découvre une odeur de parfum boisé, de poussière, de weekend en voyage, de grands restaurants et de marches nocturnes, avec des chaussures dont les talons claquent. Infidélités. Réverbères. Bar tabac. Et pourquoi pas ?