Wednesday, December 13, 2023

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Les deux Savoies sont sous l'eau. Au bout du rouleau de papier cadeau.

L'eau vient d'en haut, toute éparpillée en gouttes, mais refait corps ensuite et s'approche des ponts par en-dessous. Des ponts pendent les décorations de Noël, longs filaments, l'eau les attrape presque et je m'imagine une sorte de court-circuit lumineux au moment du contact, comme si toute l'eau devenait courant électrique en une flambée, traversant la vielle ville façon éclair.

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Les voisins d'en face ont mis en place une illumination festive que l'on pourrait aussi qualifier de pollution lumineuse, tant elle clignote épileptiquement jusqu'à 1h du matin.

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Le soir, quand les crèches sont fermées et les enfants couchés, je croise à vélo des pères et des mères avec un siège enfant vide, transportant un passager fantôme. Il n'y a personne à l'arrière, pas de petite silhouette boudinée au casque fluo, mais peut-être qu'il y a quelqu'un d'autre ou autre chose, invisible cargaison clandestine, qui accompagne l'échappée de celle ou celui qui le temps du trajet se sent libre mais bizarrement hanté.


Monday, July 3, 2023

arriver / ankommen

Varengeville. Tout est beau ici. Mon âme réagit à l'inverse d'une huître arrosée de jus de citron : par un mouvement d'expansion, de dilatation soudaine et joyeuse. "Hier bin ich Mensch, hier darf ich's sein."

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Idée de série photo : les parents penchés sur les lits parapluie de leurs petits, manquant de basculer. Embrasser une joue dodue devient un exercice acrobatique pour lequel un gainage quotidien n'est pas inintéressant. Les berceuses ont un air étranglé quand elles sont chantées tête plongée.

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J'ai deux langues et aucune ne convient. Je ne sais pas comment habiller mes mots. Alors ils vont nus, et ils brûlent dedans comme des embryons de possibles. Ils existent mais pas vraiment, parce qu'à la sortie, il faut choisir et ils veulent aller ailleurs et surtout partout en même temps.

Monday, April 24, 2023

süß

Kleine Hunde mit grellen Bällen trippeln triefend am Ufer entlang - ein konzentriert unkoordiniertes Treiben ohne Leine zwischen den Schritten ihrer Herrchen und Frauchen, die über Wetter oder Essen, über letzten oder kommenden Urlaub sprechen. Es ist Sonntag am See und jeder nimmt seinen Lauf ernst.

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Das Boot dreht, und plötzlich ist das Segel eine Messerklinge, die geschmeidig im Wasser rührt.

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Fremde Leute ansprechen, die mir gar nicht so fremd vorkommen, weil sie Deutsch sprechen. Zwei Frauen auf einer Bank, ich unterbreche ihr Telefongespräch und Butterbrotbiss, weil ich mir die Gelegenheit nicht entgehen lassen will. Wer weiß, vielleicht sind das meine zukünftigen Gesprächspartnerinnen? Leider nein, denn es stellt sich heraus, dass die beiden aus Berlin und “nur zu Besuch” in Annecy sind. “Aber deine Frage ist ja total süß".

Tuesday, January 17, 2023

brouillard

Je m’appelle Brouillard. J’ai décidé de m’appeler ainsi le jour de mes 10 ans, par esprit d’opposition. Mon grand-frère, mes cousins, les enfants les plus populaires de ma classe, tous ont une chose en commun : on dit d’eux qu’ils sont « débrouillards ». Eux semblent réussir à merveille à se « débrouiller » - comme des chiens qui s’ébrouent en sortant de l’eau, envoyant valser énergiquement toutes les difficultés et lourdeurs humides de leur existence. Moi, je reste à l’eau, largué. Je ne vois pas l’intérêt de courir après cette bonne note. Ni après ce sticker à collectionner. Ou ce joueur de foot qui me semble profondément débile. Résultat, c’est moi que l’on prend pour le débile. 

Depuis que je suis petit, la débrouillardise est une valeur cardinale dans la famille et tout le monde se demande si j’en fais vraiment partie, de cette famille, puisqu’à les croire, je suis le garçon le moins débrouillard depuis des générations de débrouillards. Quand je me lève, une partie de moi reste endormie, comme accompagnée par des bancs de rêves. Mon escorte brumeuse ne me quitte jamais et s’épaissit en cas de problèmes. Plus la situation est critique, plus je me sens opaque. Chaque parole, chaque regard me fait alors l’effet d’un phare braqué sur moi pour me percer – toujours en vain. J’ai alors l’impression de disparaître, que chaque particule de mon brouillard renvoie à l’envoyeur sa missive. 

Au fil des ans, j’ai identifié ces facteurs opacifiant. Globalement, toutes les difficultés de la vie courante. Une soudaine avalanche de chiffres à intégrer. Trois horaires de bus à comparer. Choisir ma place en classe. Mais aussi un haussement de ton, un geste brusque. Un empressement, un temps compté. Une directive. Une certitude. Le monde me semble béton là où je suis coton. Impossible d’avoir une quelconque emprise sur rien. 

Enfin, presque. J’ai découvert à quel point je force les gens autour de moi à ralentir. Parfois, je les fais douter. Ils se mettent à sonder les particules fines de mon enveloppe gazeuse. Sa voix à elle, surtout, me fait quelque chose. Elle orchestre des trouées, fait apparaître des bouts de ciel bleu et rend mon flou artistique. 

 (Texte écrit pour l'atelier d'écriture de La Cordée Annecy)

conversation par une fenêtre

Dès le début, cette conversation a eu une ponctuation particulière, plus visible que d’accoutumée. Les gouttes d’eau sur la vitre dégoulinaient sans interruption, dans une tentative de noyer nos mots, de les lier, de les souligner, mais c’est prêter beaucoup d’intention à la pluie. 

Côté sec, je me plongeais dans ton regard avec toute l’insistance nécessaire pour oublier le wagon, la toux du voisin, le cliquetis de clavier de la jeune entrepreneuse. De l’autre côté de la vitre, côté humide donc, tu n’avais pas prévu de quitter le quai. Mes yeux semblaient dotés d’une loupe, je te voyais en grand à travers les gouttes, le grain de ta peau, le dessin de tes sourcils et toute l’intensité de tes prunelles bleu nuit.

C’est toi que j’attends, tu sais. (Oui je savais.) La célébrité, je m’en fous, pour toi je serais prêt à tout quitter. Ce n’est pas une vie, d’être égérie. Je ne l’aime même pas, ce parfum. (Ah bon ? Moi je l’aime !) C’est que tu l’imagines être le mien. Mon odeur est toute autre. J’aimerais que tu puisses venir poser ta tête dans mon coup. Tu es belle. 

Alors que je me préparais à entendre la plus belle déclaration de ma vie, j’ai senti un gros coup dans mon tibia. Oh pardon, désolé, il est très encombrant ce sac, héhé. Je m’en foutais de son sac, je me suis frottée la jambe l’air courroucé, pressée de reprendre notre conversation. (Tu disais ?) Que tu étais belle. (Tu trouves vraiment ?)

« Mesdames, mes demoiselles, messieurs le TGV à destination de Paris Gare de Lyon va partir, attention à la fermeture des portes. » Le train s’est ébranlé et tu es resté de marbre, comme convenu, derrière ta vitre à toi, rétroéclairée 24h sur 24. Ton regard s’est mis à flotter dans le vide, au fur et à mesure que je me décalais. J’ai eu le temps de voir une femme s’adosser à toi, au niveau de ton menton, sur la fossette, flanquée de sa grande valise et de sa poussette. 

Aux premiers hangars de banlieue, mon voisin de droite avait enfin fini par caser son sac démesuré sous son siège. Il me fixait, décidément très présent. Un café au wagon bar, ça vous dit ? Des gouttes de sueur perlaient sur son front, dont une qui s’est mise à dévaler sa tempe. Oui, j’ai dit. 

(Texte écrit pour l'atelier d'écriture de La Cordée Annecy)

univers parallèle

A priori, je n’en connais aucun : parallèle, ça veut dire que la trajectoire de cet autre univers ne croise jamais la mienne. Deux lignes droites qui se côtoient, peut-être infiniment proches, mais vouées à ne jamais se toucher. Des existences parallèles, il y en a plein. Mais des univers ? Un univers parallèle peut-il se manifester et venir toquer à notre porte, sans risquer que l’on s’y engouffre et que tout finisse par se mélanger dans un phénoménal déséquilibre ? Tout ça devient carrément métaphysique et me donne mal au cœur. 

Ce que je sais, c’est que la mère de mon grand-père allemand a su précisément quand son fils est mort au combat. Et on peut dire qu’il ne l'avait pas prévenu. Je vous explique. Le grand frère de mon grand-père, donc mon grand-oncle, n’a pas eu la chance de mon grand-père, il n’a pas survécu à la guerre qu’on lui imposait. Le jour de sa mort, sa mère, mon arrière-grand-mère donc, était au champ. Je l’imagine avec une fourche ou une faux à la main. Il paraît qu’elle s’est brusquement relevée, épouvantée, parce qu’elle avait distinctement entendu la voix de son fils aîné raisonner dans sa tête : “Mutter ! “ Comme s’il était à ses côtés, alors qu’il était à des centaines de kilomètres, quelque part en Champagne française. Deux semaines plus tard, la Feldpost a confirmé le jour et l’heure à laquelle Franz avait été touché. Concordance des temps entre univers parallèles.

Depuis, je crois qu’il existe une fréquence spéciale qui nous permet parfois, en quelques rares circonstances, de nous brancher sur d’autres univers que le nôtre, sur des univers qui ne sont pas régis par les mêmes lois. Où une mère et son fils sont proches en étant loins, où la mort n’est qu’un changement d’état anecdotique, comme on passe de l’eau à la vapeur. Il ne faut pas avoir peur d’être sensible pour frôler ces univers à fleur de peau.

(Texte écrit pour l'atelier d'écriture de La Cordée Annecy)

Monday, June 20, 2022

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Est-il indien ? Sri-Lankais ? Petit, bronzé, dodu, cheveux fins et blancs sous béret beige, ce monsieur ne parle ni français ni anglais. Il voyage en train de Paris à Annecy et ne cesse de photographier le paysage, toujours à des moments improbables. Un parking désaffecté de la banlieue de Chambéry. Clac. Une zone industrielle vers Aix-les-Bains. Clac clac. Des pavillons à l'abandon. Clac clac clac. Il rate l'infini des champs de blé vers Mâcon et le lac d'Aiguebelette en fin d'après-midi.

Monday, June 13, 2022

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Un monsieur approche sur la promenade, sa barbe si blanche et nettement taillée ressemble à un masque. 

Thursday, June 2, 2022

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Ce matin je me suis cru en Suède, dans un fjord nordique, un archipel d'eau claire balayé par un vent d'été. Doux et vigoureux à la fois, à faire sortir les vagues du lac, à former des flaques sur la promenade et des moutons blancs, à faire traverser en un temps record le premier véliplanchiste de sortie. Il a plu toute la nuit. Le soleil éclaire le vert sombre des arbres, il y a encore beaucoup d'ombres et le lac n'en est que plus lumineux. Les bateaux chaloupent, la famille de canards chaloupe, tous à cheval sur le lac. Certains pédalos ont tourné, comme s'ils voulaient dire quelque chose à leur voisin sans que la promenade l'entende. Quelques chiens se baignent. La piste cyclable s'active. Quelques coureurs. Il fait bon !

Monday, May 23, 2022

cuisine_03

Dans cette cuisine, j’ai croisé un lézard et liquidé un paquet de biscuits apéritifs Belin que je n’ai pas acheté. J’ai tenté en vain d’y capter Internet et d’y trouver un couteau qui coupe, en revanche j’y ai trouvé les foutus filtres à café et trois machines à café en état de marché.

Cette cuisine a vécu et ne demande qu’un regard neuf pour être vue. Elle accueille les chasseurs et chasseuses, mais surtout les secondes, depuis je ne saurais pas bien dire combien d’années. Les tommettes rouge brique ne sont pas plates, le buffet « blanc » bordé d’un vieux rose est surélevé d’un côté par une planchette en bois. 

Dans l’espace de la grande cheminée, il y a un poêle à bois de la marque Rosières. Plus aucune indication sur la gazinière n'est lisible, mais un post-it pâle rappelle aux étourdis les équivalences en degrés du thermostat. L’eau n’est pas potable, en témoigne deux bonbonnes de Volvic presque vides dont personne ne sait quand elles ont été entamées alors dans le doute ouvrons-en une troisième. 

Une bombe de dégrippant pour les fusils, un magnet Astérix, de la poudre à récurer et des multiprises. Une armée de bougies, une pile d’alarmes incendies sans piles, des allumettes. 

Le papier peint consiste en une trame de losanges aux lignes jaune foncé sur fond jaune pâle, et par-dessus des grappes de raisins et des feuilles de vigne décolorés. Les pans se décollent à plusieurs endroits, la peinture blanche du plafond s’écaille. Pas de tableaux, zéro nature morte de faisan ici.

Je compte cinq chaises en bois autour d’une vieille table en bois étrangement étroite, recouverte d’une toile cirée clouée sur la planche. En principe, personne n’y mange, la table est surface utile, plan de travail, camp de base. 

Pas de couvercles sur les poubelles, énormes bacs noirs ouverts sous l’évier. Mélange de câbles douteux, pleins de brosses, pleins de ciseaux, des pommes de terre qui germent depuis l’été dernier. 

Au frigo, le lait d’amande bio périme aux côtés du jus de tomate premier prix, d’une bière normande et de diverses moutardes, le confinement est passé par là. 

La cuisine donne sur une grande pelouse verte remuée par les sangliers, traversée le soir par des dizaines de lapins. Elle garde la fraîcheur et fonctionne sans broncher, se venge simplement en aspergeant celui qui ouvre trop franchement le robinet. 

Elle me donne envie de lui faire des gâteaux, pour la parfumer un peu, elle ne demande que ça ! Je m’y sens bien.