Tuesday, January 17, 2023

conversation par une fenêtre

Dès le début, cette conversation a eu une ponctuation particulière, plus visible que d’accoutumée. Les gouttes d’eau sur la vitre dégoulinaient sans interruption, dans une tentative de noyer nos mots, de les lier, de les souligner, mais c’est prêter beaucoup d’intention à la pluie. 

Côté sec, je me plongeais dans ton regard avec toute l’insistance nécessaire pour oublier le wagon, la toux du voisin, le cliquetis de clavier de la jeune entrepreneuse. De l’autre côté de la vitre, côté humide donc, tu n’avais pas prévu de quitter le quai. Mes yeux semblaient dotés d’une loupe, je te voyais en grand à travers les gouttes, le grain de ta peau, le dessin de tes sourcils et toute l’intensité de tes prunelles bleu nuit.

C’est toi que j’attends, tu sais. (Oui je savais.) La célébrité, je m’en fous, pour toi je serais prêt à tout quitter. Ce n’est pas une vie, d’être égérie. Je ne l’aime même pas, ce parfum. (Ah bon ? Moi je l’aime !) C’est que tu l’imagines être le mien. Mon odeur est toute autre. J’aimerais que tu puisses venir poser ta tête dans mon coup. Tu es belle. 

Alors que je me préparais à entendre la plus belle déclaration de ma vie, j’ai senti un gros coup dans mon tibia. Oh pardon, désolé, il est très encombrant ce sac, héhé. Je m’en foutais de son sac, je me suis frottée la jambe l’air courroucé, pressée de reprendre notre conversation. (Tu disais ?) Que tu étais belle. (Tu trouves vraiment ?)

« Mesdames, mes demoiselles, messieurs le TGV à destination de Paris Gare de Lyon va partir, attention à la fermeture des portes. » Le train s’est ébranlé et tu es resté de marbre, comme convenu, derrière ta vitre à toi, rétroéclairée 24h sur 24. Ton regard s’est mis à flotter dans le vide, au fur et à mesure que je me décalais. J’ai eu le temps de voir une femme s’adosser à toi, au niveau de ton menton, sur la fossette, flanquée de sa grande valise et de sa poussette. 

Aux premiers hangars de banlieue, mon voisin de droite avait enfin fini par caser son sac démesuré sous son siège. Il me fixait, décidément très présent. Un café au wagon bar, ça vous dit ? Des gouttes de sueur perlaient sur son front, dont une qui s’est mise à dévaler sa tempe. Oui, j’ai dit. 

(Texte écrit pour l'atelier d'écriture de La Cordée Annecy)

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